Marcel Dubois, ingénieur au Corps des Mines, capitaine-pilote commandant une escadrille d'armée, chevalier de la Légion d'honneur, croix de guerre trois palmes, tué en combat aérien au-dessus des lignes ennemies, fut un des plus brillants parmi ces jeunes générations. Il frappait d'abord par son air de jeunesse et par cette flamme généreuse du regard, qui trop souvent sembla le privilège des prédestinés à l'héroïque mort.
Fils de notre camarade Robert Dubois, ingénieur en chef aux Chemins de fer de l'État, il est né le 8 septembre 1883 à Rouen et a fait ses études littéraires au lycée Condorcet, ses études mathématiques au lycée Carnot. Comme beaucoup de ceux qui ont conquis les premiers rangs à l'École polytechnique, il semblait également doué pour les lettres et pour les sciences. Entré le treizième à l'École polytechnique, il en sortit le second en 1904 dans le Corps des mines. Après son service militaire comme sous-lieutenant au 22e régiment d'artillerie à Versailles, il entra à l'École des Mines en 1906. Il fit son premier voyage de mission en Angleterre; le second, en 1907, avec son camarade Châtard (tué en 1914), le conduisit à visiter le Canada et la côte de Vancouver. Le troisième, en 1908, avec M. Parent, ingénieur au Corps des Mines et M. Corpet, le conduisit en Chine, au Japon et en Corée. A la sortie de l'École des Mines, il fut attaché pour quelque temps au Chemin de fer de l'État et, à ce titre, envoyé en mission aux États-Unis (1910). Dès ce moment, les grands problèmes de l'aviation encore naissante s'emparaient de son esprit. Il fit partie, comme secrétaire, puis comme membre, de la Commission de Navigation aérienne au Ministère des travaux publics. En 1912, il n'abandonna pas cette commission quand il fut chargé du service des Mines à Tours.
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MF 8
MF 45
MF 16
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Pour joindre la pratique à la théorie, il prit alors son brevet de pilote militaire comme officier de réserve.
La mobilisation vint. Il partit comme capitaine de l'escadrille MF 8 et fit ses premières armes dans des reconnaissances (régions de Verdun et Saint-Mihiel), pendant lesquelles les difficultés des bombardements précis le frappèrent. Avec l'ingéniosité et la précision de son esprit scientifique, il s'attacha à les résoudre en étudiant un viseur et le lancement des gros obus. Il fut alors envoyé à Saint-André-de-Cubzac près de Bordeaux pour expérimenter son viseur et c'est là que, le premier, il lança un obus de 125 kilogrammes de 1.000 mètres de hauteur (expérience faite le 29 octobre 1914, devant le Ministre de la Guerre). Ses recherches l'absorbèrent encore quelques semaines. Il ne tenait qu'à lui de les continuer. Le haut commandement désirait le spécialiser dans les études. Il voulut retourner au front et, nommé à l'escadrille MF 45 en Lorraine au mois d'avril 1915, il ne la quitta plus pendant quinze mois jusqu'à sa mort. Une série de glorieuses citations feront, mieux que tout discours, connaître sa valeur.
La première citation à l'ordre de l'armée est du 19 septembre 1915 :
« Le capitaine Dubois, pilote à l'escadrille MF 45, très adroit et très courageux, demandant toujours à marcher, a, depuis son arrivée sur le front, plus de deux cents heures de vol au-dessus de l'ennemi. S'est spécialisé dans le lancement des gros obus et a eu, au cours de ses opérations, son appareil souvent atteint par les projectiles ennemis. A attaqué les Drachen ennemis au moyen d'un dispositif très ingénieux inventé par lui et, malgré un feu violent dirigé contre lui, les a obligés à descendre précipitamment. » (Signé : Gérard.)
Un ordre particulier pour le service aéronautique du D. A. L. n° 1194 porte : « Le Général Commandant le D. A. L. exprime sa satisfaction au capitaine Dubois de l'aviation D. A. L. pour la hardiesse dont il a fait preuve en allant à plusieurs reprises, pendant la nuit, mitrailler et couvrir de fléchettes les travailleurs ennemis. » (Signé : Gérard.)
En septembre 1915, il fut nommé au commandement d'une escadrille, région d'Arras. Voici un extrait de la décision du jour :
« Le capitaine commandant l'escadrille porte à la connaissance de l'escadrille le prochain départ du capitaine Dubois qui va prendre dans le Nord le commandement de l'escadrille MF 54. Ce départ est une lourde perte pour l'escadrille qui se trouve ainsi privée en même temps d'un pilote de très grande valeur, toujours prêt pour les missions les plus dangereuses, d'un technicien remarquable et d'un brillant officier dont tout le monde a pu apprécier la modestie et le haut caractère. » (Signé Van Duick, 25 septembre 1915.)
L'hiver devant Arras fut dur et difficile; la lutte âpre. Le capitaine Marcel Dubois se donna de toute son âme au combat et à l'exemple. Son escadrille réformée était devenue l'escadrille MF 16. Il l'entraîna spécialement aux bombardements de nuit. Le 24 janvier 1916, il fut décoré de la Légion d'honneur avec la citation suivante :
« Dubois (Marcel), capitaine de réserve, pilote à l'escadrille MF 16. Pilote remarquable et commandant d'unité hors pair, a fait preuve, dans des circonstances difficiles, de la plus belle énergie et du plus grand sang-froid. »
En mai 1916, comme on préparait l'offensive de la Somme, l'escadrille fut envoyée à Grivesne, région de Roye. Il entraîna de plus en plus ses officiers aux bombardements de nuit, missions particulièrement périlleuses. Le 25 juillet 1916, il était cité à l'ordre de l'armée, en même temps que trois de ses officiers : « Le capitaine pilote Dubois (Marcel), commandant l'escadrille MF 16, escadrille d'armée, par ses qualités de chef et d'organisateur, malgré des pertes cruelles, a su faire rendre à son unité les services les plus considérables et les plus divers : réglages, reconnaissances, bombardements de jour et de nuit, liaisons d'infanterie, photographies. A toujours donné le plus bel exemple, effectuant le premier les missions les plus périlleuses. »
Quand on pense à ce que représente de courage et d'énergie soutenue pendant des mois, une telle série de citations, on ne peut que s'incliner avec admiration. Malheureusement, bien peu, parmi ceux qui ont enorgueilli ainsi les fastes de notre aviation, restaient présents et visibles parmi nous au jour du triomphe. Leur âme seule a plané sur le retour pavoisé de nos régiments vainqueurs...
Marcel Dubois n'a pas connu sa dernière citation. Le 21 juillet 1916, à six heures du soir, il partit en reconnaissance au-dessus de Péronne avec un lieutenant observateur et accompagné d'un autre avion. Il n'est pas revenu. L'appareil qui l'a accompagné l'a perdu de vue au-dessus de Péronne. D'un ballon captif français, on l'a vu attaqué par un Fokker infiniment supérieur en vitesse, venu du fond de l'horizon. Pendant plus de dix minutes, il soutint la lutte. Puis le biplan français s'affaissa. Le lendemain, nos officiers pouvaient saisir un radio allemand contenant le communiqué suivant : « L'Empereur a rendu hommage aux exploits du Premier lieutenant Baron von Althaus, qui a remporté près Roye une victoire sur un biplan français, en lui conférant l'ordre pour le Mérite. » Plus tard, on sut que les obsèques du capitaine Dubois et de son observateur avaient eu lieu le dimanche 23 juillet dans le cimetière de Roye avec l'assistance d'une délégation de vingt officiers allemands, du maire de la ville et d'un grand nombre d'habitants venus rendre hommage à leur valeur et à leur courage. Un article de la Frankfurter Zeitung raconta le fait sous ce titre : « Hommage à l'ennemi ».
Un an après, le général Hirschauer, citant à l'ordre du corps d'armée l'escadrille MF 16 qu'avait commandée le capitaine Dubois, rappelait encore son souvenir et la part qu'il avait prise dans les deux mille heures de vol accomplies par cette escadrille pendant nos diverses offensives.
Aujourd'hui, la tombe de Marcel Dubois, miraculeusement préservée pendant le bombardement de 1918, commémore son nom dans le cimetière de Roye, à l'endroit même où les ennemis, en l'inhumant, se sont inclinés devant lui.
Comme soldat, il a bien mérité de la France. Comme ingénieur, il eût également servi son pays avec talent si la rigueur de la destinée le lui eût permis. Il a donné, à cet égard, mieux que des espérances puisqu'il a inventé des appareils, qui, pour être employés à la guerre, n'en démontraient pas moins sa valeur scientifique. Jusqu'au dernier jour, il témoigna d'une ardeur extraordinaire à tout connaître, comme s'il avait deviné que le temps lui était rigoureusement ménagé. Son sacrifice fut d'autant plus méritoire qu'il avait fondé un foyer et qu'il laisse, avec ses parents en deuil, une veuve et un enfant.
Publié dans Annales des Mines, 1922, tome II
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