1916, année de tous les dangers

 

 1916, année de tous les dangers


Observation, bombardement, chasse  L'effort français et l'effort allemand

1916: année de tous les danger.

Grâce à la supériorité technique que nous donnent le Morane-Parasol et le tir à travers l'hélice imaginé par Garros, nous avons au début un avantage marqué. Garros dans le Nord, Pégoud à Belfort ouvrent avec intrépidité l'ère des combats aériens et descendent en flammes plusieurs de leurs adversaires. Malheureusement, nous perdons presque aussitôt ces deux admirables pilotes: Garros par suite d'une panne chez l'ennemi, Pégoud dans un combat aérien.
Ainsi, pendant les premières opérations de 1915, l'aviation applique et perfectionne ses divers modes d'action: observation, bombardement, chasse.
Elle est d'ailleurs guidée et stimulée dans son essor par le Haut Commandement qui perçoit l'importance du rôle qu'est appelée à jouer cette arme nouvelle.
Le général Joffre appuie de son autorité le commandant Barès.
Le général de Castelnau visite souvent ses aviateurs, les encourage, les remue au besoin avec sa bonhomie habituelle. Le général Foch les manie diffééremment. Il les réunit sur leur champ d'aviation; et, avec des gestes lumineux à l'appui, il leur rappelle les principes, leur montre le but à atteindre:
 “ Pas de bataille sans artillerie, pas d'artillerie sans
aviation, dit-il aux escadrilles d'observation.
 “ Permettre aux siens de voir et boucher l'œil de
l'ennemi, dit-il aux chasseurs.
 “ Pas trop de rêves lointains, tout le monde dans la bataille, dit-il aux bombardiers. "
Il est toujours le grand chef, dont les images puissantes gravent la doctrine dans les esprits.
 Bataille d'automne. - C'est avec une aviation d'observation déjà homogène et entraînée que se 'livrent les grandes batailles de septembre, en Artois et en Champagne.
En Artois, les escadrilles de la 10° Armée sont sous les ordres du commandant Fougeroux, secondé par le capitaine Orthlieb.
En Champagne, celles de la 2' Armée sont sous les ordres du capitaine de Saint-Quentin, secondé par le capitaine Mollard, et celles de la 4e Armée sous les Armée sous les ordres du commandant Guillabert secondé par le capitaine Varaigne.
Elles sont groupées par secteurs correspondant aux différents Corps d'Armée d'attaque, et instal¬lées sur des terrains soigneusement aménagés. De bonnes liaisons téléphoniques les relient au Commandement et à l'artillerie.
Ces excellentes dispositions permettent à l'aviation de donner son plein rendement.
En Artois, de Miribel, Routy, Fageol, Ayral traquent les batteries allemandes à l'est de Lens; plus au sud, Watteau et Balleyguier règlent notre artillerie autour d'Arras. Ils sont protégés contre les Fokker par les Nieuport de du Peut y, Turin, et Dusseigneur. En Champagne, de Peyrecave, Verdurand, Weiller, d'Amécourt, Baulier, de Gibergues règlent nos grandes lignes d'artillerie, tandis que Quillien, de Beauchamp, Boucher, d'Harcourt explorent sur Rethel, Vouziers, et s'attaquent aux avions ennemis.
L'aviation de bombardement, constamment renforcée par du personnel d'élite: le lieutenant de vaisseau Cayla, les capitaines Bousquet, Gonnet, Thomas, les frères Séjourné, les mitrailleurs de Losque, Corroen..., avait été portée à quatre groupes. Trois d'entre eux, sous les ordres du commandant Roisin, interviennent en Champagne et attaquent les arrières ennemis; le quatrième, sous les ordres du capitaine Faure, prend part à la. bataille d'Artois en bombardant les gares de débarquement, les gros dépôts de munitions et les batteries éloignées. 

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Sans compter le Fokker de chasse, l'ennemi a, mis en service des avions d'observation Aviatik et Albatros 160 HP, avec tourelle et mitrailleuse, qui constituent des engins de combat sérieux. Nos G. 3 et Farman sont sans défense contre eux. Nos Voisin leur sont également inférieurs et ils subissent dans plusieurs combats des pertes sévères (9 avions au cours d'une seule expédition sur Sarrebrück en août 1915). Les Morane 80 HP soutiennent difficilement la lutte.
D'autre part, on sait que les Allemands étudient un nouvel avion de chasse plus puissant: l'Albatros D. 3.
Si elle ne reçoit pas rapidement un matériel amélioré, notre aviation risque donc de se voir prochainement paralysée.
Dans le cours de novembre 1915, le général Joffre indique à l'Intérieur le nouveau programme à réaliser: il précise les qualités nouvelles à donner aux avions et il demande l'augmentation de leur nombre: 62 escadrilles d'observation, 31 escadrilles de bombardement et, pour la première fois, 25 escadrilles de chasse. Au total: 1.300 appareils.
C'est à M. Besnard, sous-secrétaire d'État de l'Aéronautique, et au colonel Regnier son successeur, que reviennent la tâche de réaliser ce programme.

 D'après 
LA GRANDE GUERRE
1914 - 1918
VÉCUE - RACONTÉE - ILLUSTRÉE
PAR LES COMBATTANTS

a haut

L'effort français et l'effort allemand

La guerre aura permis d’apprécier à sa juste valeur l’aviation, arme nouvelle, si discutée pendant quelques années et qui était loin d’être au point. Ceux qui avaient confiance en elle n’étaient pas légion, il faut l’avouer. La traversée de la Manche par Blériot remontait seulement à 1909. Que pouvait- on espérer d’un engin qui semblait plus sportif que guerrier?
Malgré ce manque de foi presque universel, certains travaillaient et luttaient. Pour ma part, je ne me fis pas faute d’indiquer à maintes reprises des améliorations possibles. Je voulais que l’aviation se préparât à devenir une arme véritable. Les difficultés à vaincre étaient grandes. Il fallait triompher de la routine, car l’on avait affaire ê un engin qui se modifiait chaque jour. Les marques d’appareils et de Moteurs se multipliaient, Pourquoi choisir tel type plutôt que tel autre? Quand la commande serait livrée, l’appareil ne serait-il pas déjà démodé? De plus, l’organisation des multiples services, la préparation des pilotes, la formation des observateurs, la création des centres constituaient autant de problèmes délicats. Et par-dessus tout, pour couronner ce chaos, l’argent manquait, il était accordé parcimonieusement, et les bureaux par leurs Lenteur ne permettaient pas toujours de l’employer utilement. Le personnel navigant était considéré comme un monde d’indisciplinés, de cerveaux brûlés. Certains chefs affectaient le plus profond mépris pour les aviateurs. Ceux-ci pourtant faisaient déjà campagne en temps de paix. Ils avaient des ennemis redoutables les caprices de l’atmosphère, les bris d’appareils.
Sans la guerre, nous en serions encore à la période des tâtonnements. Grâce à elle, l’aviation est sortie du néant. Elle a répondu à ceux qui ne croyaient pas en elle par des exploits chaque jour plus beaux, plus héroïques, prouvant ainsi la vitalité, l’énergie et les ressources de notre race.
Ceux qui croyaient à la possibilité d’une guerre n’avaient accordé qu’une confiance relative à l’avion, parce qu’ils ne le connaissaient pas. Les théoriciens voyaient mal les moyens dont disposait le plus lourd que l’air. On bâtissait des hypothèses que la guerre devait détruire aussitôt. Il semblait que l’appareil idéal serait blindé, — que le monoplan aurait une importance capitale, — que le monoplace serait employé pour la cavalerie, les réglages, que les gros et grands biplans seraient voués à l’insuccès. II y avait conflit entre l’aviation lourde, chère aux Allemands, et l’aviation légère qui nous avait valu tant de succès. L’altitude minima pour la sécurité semblait être 1000 mètres. Au-dessus, ou craignait une mauvaise vision des mouvements de troupes. L’aviation nocturne paraissait une folie. La question des obus avait été peu étudiée. Les systèmes de visée et de lancement étaient précaires, ayant été créés après des expériences puériles. Tout appareil qui volait semblait apte à rendre des services.
L’expérience nous a amenés peu à peu à apprécier à leur valeur exacte les différents types d’avions, à les sélectionner, à les adapter chacun â une tâche spéciale, à établir des’ méthodes précises pour la reconnaissance, le réglage du tir, le bombardement, la chasse. Tel type très apprécié fut vite abandonné. Tel principe qui semblait absolu fut aussitôt contredit.
Certes, nous aurions pu éviter bien des erreurs si, dès le temps de paix, l’aviation avait été considérée comme susceptible de devenir une arme indispensable. Mais jamais l’aéroplane n’avait été le collaborateur de l’armée qu’on aurait pu espérer. Les troupes l’ignoraient, la plupart des chefs ne voulaient pas le connaître. Les essais tentés aux grandes manoeuvres n’avaient pas obtenu le résultat désiré. Les avions, de même que les dirigeables, constituaient plutôt une attraction destinée à intéresser la foule. Le lien qui les unissait au commandement était si fragile! En 1912, un chef d’armée n’avait-il pas trouvé pratique de placer ses escadrilles en avant de ses troupes! Elles constituaient l’avant-garde, toujours capturées.
Un seul général en chef avait su employer les avions, un seul avait obtenu d’eux le rendement désirable, c’était le général Joffre. Et je gage que lorsqu’il ordonne les actions qui prouvent si glorieusement notre supériorité aérienne, il doit penser souvent aux grandes manoeuvres de 1913, prélude de ses succès de la vraie guerre. C’est à lui que nous devons l’extension donnée au rôle des avions. C’est lui-même qui dès le début s’occupa de leur utilisation. Il avait su prévoir, il sut organiser. Par ses ordres du jour, il indiqua ce qu’on pouvait espérer, ce qu’il attendait. Nous publierons après la guerre ces notes énergiques où il dit sa confiance, où il ne dissimule pas son admiration pour les services rendus, où il encourage le personnel navigant, où il indique les missions sur lesquelles il convient d’insister.
C’est d’abord un ordre suggéré par une prouesse qui avait permis de détruire la moitié de l’artillerie du 16e corps allemand dans la région de Triaucourt, Vaubécourt et de la ferme de la Vaux-Marie, le 8 septembre 1914. Le général Joffre montre les résultats de la collaboration de l’artillerie et de l’aviation pendant le combat. Puis, le 27 septembre 1914, le généralissime rappelle l’utilité des réglages de tir et ordonne l’attaque aérienne des points militaires. Ces prescriptions furent toujours suivies depuis, mais c’est surtout à partir de la création des groupes de bombardement que les lancements de projectiles furent opérés eu véritables avalanches sur les objectifs ennemis, Il en est dont les journaux ne parlèrent pas, mais dont les effets furent considérables, tels le bombardement des gares de Chambley et Thiaucourt, le 12 avril (106 obus), d’une grosse pièce à Muzeray, le 5 juin. (76 obus), des batteries de Givenchy. Farbus et Beaurains, le 16 juin (342 obus et 1 000 fléchettes). Une note, en date du 20 novembre 1914, indiquait aux chefs d’armée l’importance spéciale de la destruction des gares et voies ferrées.
Dès le mois d’octobre 1914, dans un ordre du jour mémorable, le généralissime félicitait le personnel de l’aviation, et rappelait quelques-uns des résultats obtenus réglages de tir, bombardements (en particulier attaques des drachen-ballons), chasses d’appareils ennemis.
Le général commandant en chef, écrivait-il, compte que l’aviation continuera à prendre dans l’avenir par tous les moyens une part de plus en plus intime au combat, dans lequel son actien obtient non seulement des résultats matériels importants, mais exerce sur l’ennemi une très grande influence morale... L’aviation de combat est à même de rendre les plus grands services cl de justifier la confiance que le commandement place en elle.
Cette confiance était justifiée. Depuis, le réglage des tirs a été perfectionné; les opérations de bombardement sont plus fréquentes et plus hardies; les drachen sont attaqués avec succès; près de cinquante avions ennemis ont été abattus dans des combats aériens.
De cette façon, et grâce en grande partie au général Joffre, après cinq années d’incertitudes au bout desquelles tant de questions restaient encore en suspens, quelques mois suffirent pour qu’au courage de nos pilotes vînt s’ajouter une organisation excellente. Que de problèmes qui hantaient les cerveaux avant la guerre s’écroulèrent sans discussion. Le blindage que l’on réclamait avec obstination fut abandonné parce que trop lourd. Pendant plus de quinze mois, seuls les sièges du pilote et de l’observateur étaient parfois recouverts d’un métal de protection.
Le monoplan recueillait tous les suffrages. Il paraissait être l’engin le plus utile â cause de sa vitesse. Mais la position des ailes empêchait la visibilité. Il faut que l’observateur puisse distinguer tout ce qui se passe au-dessous de lui. S’il ne peut regarder qu’en avant ou en arrière, il est amené à commettre de nombreuses erreurs. On constata aussi que la prétendue rapidité du monoplan était un mythe. Les biplans allemands volaient généralement plus vite. Enfin, le moteur était souvent une cause de « pannes sèches », de celles qui surprennent au moment où l’on s’y attend le moins : le moteur tourne à toute allure, soudain il s’arrête. Les moteurs fixes de la plupart des biplans ne connaissent pas cette éventualité cruelle il se put que leur régime baisse, que des cylindres cessent.de donner, en ce cas ils «  bafouillent », comme on dit dans l’argot des aérodromes, mais ils ramènent l’appareil à son port d’attache, péniblement peut-être, mais presque sûrement. On abandonna donc les monoplans, — ne conservant que le parasol, qui pendant plus d’un an livra une chasse victorieuse à tant d’avions ennemis. Puis, à son tour, cet appareil fut remplacé par les petits biplans plus rapides.
La guerre a révélé l’utilité des gros biplans, autrefois si décriés. Ils se sont spécialisés dans les reconnaissances à longue portée, les prises de vues photographiques, les bombardements, car ces « maisons volantes » peuvent seules emporter du poids en projectiles et, malgré ce poids, aller opérer jusqu’à 200 kilomètres à l’intérieur des lignes ennemies.
Enfin l’avion nocturne qui semblait une utopie est devenu une réalité. L’hirondelle hésitait à se transformer en chauve- souris. L’aigle n’y a vu aucune difficulté. Les Parisiens connaissent ces étoiles filantes qui veillent sur la capitale et qui maintes fois, vont à la faveur des ténèbres déverser leurs explosifs sur les campements, gares ou villes ennemis.
Avant les hostilités, nous possédions comme projectiles les bombes Aazen, de peu d’efficacité. Nous connaissions aussi les balles Bon, les fléchettes : elles pèsent 20 grammes, se lancent par 500 et couvrent en s’éparpillant une surface considérable, produisant une véritable pluie meurtrière. Ces dards d’acier, lorsqu’ils entrent par l’épaule, sortent par le pied. Sur une place de Metz, le 26 décembre 1914, 2 000 furent lancées: d’après les renseignements recueillis, il y eut trois cents victimes — Mais tous les engins qui sèment aujourd’hui la mort, à part les bombes Aazen et les balles Bon n’existaient pas avant la guerre.
Il ne suffit pas d’avoir des projectiles, il faut les lancer avec chance de succès. Aucun des systèmes proposés en temps de paix n’était vraiment pratique. Les chefs commandèrent aux pilotes et aux mécaniciens de chercher des dispositifs. Ils se mirent à l’ouvrage. Les résultats de nos bombardements prouvent que leurs recherches ne furent pas vaines.
Et pourtant, il est difficile de viser un objectif lorsqu’on le domine de 2 000 mètres. Les procédés scientifiques, les données mathématiques ont dû s’incliner devant les caprices de l’atmosphère. Presque tous les bombardiers tirent au jugé, surtout dans les attaques groupées où ils peuvent observer les points de chute, des obus de leurs camarades. Certains, arrivés sur le point indiqué, descendent en spirales serrées jusqu’à 200 mètres, tels Briggs, Babington et Sippe, à Friedrichshafen; 60, tel Garros dans l’attaque d’un convoi qui précéda sa capture, et même 4 ou 5 mètres, tels le caporal L... et le maréchal des logis G... mitraillant un train en marche jusqu’à la gare de Marbach. La nuit, il est rare que le pilote évolue à plus de 500 mètres. C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit d’une cible de dimensions restreintes, il est préférable d’envoyer un seul avion, bien décidé, qui se tiendra à une faible hauteur pour ne pas manquer le but, plutôt que deux ou trois escadrilles volant à 2 000 ou 2 500 mètres.
Le problème de l’altitude de guerre avait avant les hostilités, reçu une réponse que les faits ont vite contredite 1000 mètres semblaient un maximum où y pouvait à la rigueur recueillir des observations utiles et précises et on ne craignait plus les ripostes terrestres. Or à plus de 3 500.mètres, certains avions ont reçu des éclats, à 3 000 d’autres ont été abattus. Ceux qui, au début, se fiaient aux compétences eurent à le regretter, tant du côté français que — et surtout — du côté allemand. Et pourtant, pendant notre offensive d’Artois et de Champagne, les nuages étant très bas, nos avions durent voler de l’aube au crépuscule en se tenant à 800 mètres à peine I
Les batteries spéciales sont les plus redoutables ennemis des appareils, mais la mitrailleuse et le tir de salve des fusils ont aussi remporté quelques succès. Rien n’est plus difficile que d’apprécier l’altitude d’un appareil en vol. On peut encadrer d’admirable façon un avion, l’entourer de nuages de fumée sans l’inquiéter. Une erreur de 500 mètres et même
plus en hauteur n’est pas aisément perceptible. Aussi la plupart des batteries pointent-elles à une distance qui semble être celle où volent généralement les oiseaux ennemis, soit 2 500 ou 2 800 mètres. Quelques pilotes profitent de cette foi dans la routine pour évoluer à 1 400 mètres, où ils voient mieux sans être plus en danger. Garros se plaisait à soutenir ce paradoxe : « Si j’avais un appareil volant à 150 kilomètres à l’heure, muni d’un moteur dans lequel je pourrais avoir entière confiance, Je me tiendrais à 150 mètres de hauteur. Les canons seraient impuissants et quelques spirales de temps en temps empêcheraient les fusils de me toucher. »
L’appareil existe, mais Garros, hélas n’est plus là.
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A l’usage, le commandement se rendit compte qu’à chaque marque d’appareil devait répondre un genre de missions spécial, alors qu’au début tout avion semblait capable de cumuler les diverses fonctions aériennes. D’abord, une sélection fut faite parmi les types employés. Au mois de mars, il n’en subsistait plus que quatre le parasol Morane-Saulnier pour la chasse, le biplan Caudron pour les réglages de tir, le biplan Maurice Farman pour les reconnaissances à longue portée, et le biplan Voisin pour les bombardements. Ce qui n’empêchait d’ailleurs pas, le cas échéant, un aéroplane, désigné pour le bombardement, de faire de la photographie, et un avion de chasse, d’accomplir des reconnaissances. Selon les besoins, des ordres étaient donnés. C’est avec un parasol que Gilbert fut capturé lorsqu’il revenait de bombarder les usines de Friedrichshafen. Il n’avait pas dû gravement les endommager, étant donné le poids d’explosifs qu’il pouvait emporter.
La chasse exige un appareil extrêmement rapide, maniable, et possédant nu excédent de puissance qui lui permette de monter avec aisance. Rejoindre un avion dans l’espace est particulièrement difficile. La poursuite ne peut être efficace qu’avec certains types d’avions. Les parasols qui, pendant près d’un an, venaient d’abattre presque tous les engins ennemis, ont été remplacés par de petits biplans plus rapides, afin de répondre à l’effort fourni par les Allemands dans cette spécialité. Les chiffres montrent mieux que toute considération la difficulté de la tâche du toréador de l’air: chaque jour, on enregistre une moyenne de huit à dix chasses, or nous avons descendu une cinquantaine d’aéroplanes. Pour qui sait la difficulté du duel aérien, ce chiffre force l’admiration. La chasse est la prouesse la plus hardie et la plus pénible qu’on puisse imaginer. Il faut d’abord pouvoir rejoindre sa proie. Si l’ennemi n’accepte pas le combat, la poursuite ne peut durer indéfiniment il serait de la dernière imprudence de chasser un avion au-dessus de son territoire; la ruse classique consiste, de la part du fuyard, à se mettre à la descente de façon à profiter de l’ardeur de la lutte pour amener progressivement l’assaillant à bonne hauteur et le livrer aux canons et aux fusils. C’est ainsi que le regretté pilote Sismanoglou fut abattu, au moment où il se préparait â attaquer un avion ennemi qu’il poursuivait depuis de longs instants.
Il faut un réel courage au chasseur aérien. Il y a là deux hommes, deux volontés le pilote et le mitrailleur — parfois le même occupe les deux fonctions. Ils voient l’adversaire armé comme eux, peut-être mieux, prêt à accepter la rencontre; ses coups seront peut-être plus heureux. L’un des combattants doit être précipité dans l’abîme. Qu’importe! L’avion ennemi est là-bas, au-dessus de nos lignes, pour opérer un bombardement, repérer des batteries ou des objectifs: il faut l’empêcher de rentrer chez lui. L’agresseur tente d’abord de couper la route du retour, puis s’élance, manœuvrant pour arriver aux côtés de l’antagoniste. À vingt ou trente mètres, le mitrailleur qui attend fébrilement le moment d’ouvrir le feu et essuie celui de l’ennemi sans répondre, pour ne pas user inutilement ses munitions, se lève, ajuste et commence le déchirement de sa bande. Pour éviter la trépidation, le pilote arrête le moteur et plane. Le tireur opère comme à la chasse au canard, sans bouger de place sa mitrailleuse: suivre un appareil est se donner une possibilité de le manquer, alors que, si le tir n’est pas modifié, il arrivera fatalement un instant où l’avion ennemi passera dans son champ. Les balles continuent à siffler aux oreilles du pilote et de son compagnon celui-ci reste calme, déroule ses bandes, celui-là dirige son appareil, fait des voltes pour gêner l’adversaire et faciliter la tâche de son mitrailleur. Il approche de plus en plus. Touché, enfin touché ! L’ennemi est atteint, parfois après cinquante minutes de combat! Ou bien c’est les organes essentiels, ou bien c’est le pilote. L’appareil tournoie dans le vide et tombe comme une pierre. La mort s’ensuit le plus souvent. On cite cependant un exemple curieux : le pilote d’un biplan allemand ayant été tué au cours d’un duel aérien, l’observateur évita la mort en se précipitant par-dessus le cadavre et en actionnant les commandes au moment de l’atterrissage. Il n’y eut pas la moindre casse.
Parfois, le rôle du chasseur ne consiste pas à abattre l’ennemi, mais à se contenter de le mettre en fuite. C’est ainsi que le sous-lieutenant J..., se trouvant aux prises avec dix avions allemands qui venaient bombarder Nancy, lés obligea à rebrousser chemin. Il se lança tour à tour sur chacun, et, dès que l’un tournait bride, J... se précipitait sur le suivant. II aurait pu facilement abattre un ou deux appareils, mais il avait conscience que là n’était point son devoir. Ce qu’il fallait, c’était empêcher que les avions allemands pussent arriver jusqu’à Nancy. Il y réussit seul contre vingt ennemis, dix pilotes et dix bombardiers.
Certains virtuoses comme J. cumulent en effet les fonctions de pilote et de mitrailleur. Tels étaient Roland Garros, Eugène Gilbert et Pégoud. C’est à Garros qu’est due l’invention d’un dispositif permettant de tirer dans l’hélice sans craindre de la briser. Et ces rois de l’air réussissent à mitrailler tout en se servant des genoux pour actionner la direction. Ainsi, avant d’être capturé, Garros abattit trois avions en dix-huit jours. Les aviateurs qui ne sont pas pilotes-mitrailleurs n’emmenaient pas au début les mêmes passagers. Il en résultait que, les deux hommes ne se connaissant pas suffisamment, leurs gestes n’étaient jamais d’accord. Or, dans la chasse, l’harmonie à bord doit être absolue.
Que de drames angoissants nous fourniront les duels aériens lorsqu’on écrira une histoire de la guerre! Le sergent Eugène Gilbert, blessé au coude, rentre avec un longeron et une commande de profondeur coupés. On retrouve vingt-six balles dans son appareil : ailes, fuselage, roues, train d’atterrissage, tout avait été touché, sauf, par miracle, le réservoir et la place du pilote. Le même sergent Gilbert voit un autre jour l’un de ses adversaires se lever dans son appareil, les bras étendus, comme pour demander grâce, taudis que les flammes envahissent l’avion qui s’abat comme une véritable torche. Le sous-lieutenant Garros poursuit à moins de quinze mètres un ennemi, le mitraille avec ardeur, et se rend compte de l’efficacité de son tir aux soubresauts qu’il remarque dans les épaules et le dos de ses victimes. L’adjudant G... voit sa mitrailleuse s’enrayer dès le premier coup. Il est seul à bord, reste à son poste, sans décliner la lutte et, tandis que l’autre tire sur lui sans relâche, il vire, cabre, pique, se renverse sur l’aile. Pendant ce temps, il démonte son arme, se servant de ses ongles en guise de tournevis, répare et remonte les pièces. Il est toujours près de l’allemand, se prépare à l’attaquer. Nouvel enrayage. Une seconde fois, il opère le démontage de sa mitrailleuse, la revisse, sous la pluie des balles qui le cherchent, et n’est pas plus heureux. Finalement, l’ennemi, ayant épuisé ses munitions, s’enfuit vers ses lignes. G... redescend alors, les ongles arrachés, les mains ensanglantées. L’adjudant M., pilote, reçoit au début d’un engagement une balle dans l’épaule et, stoïque, continue le combat permettant à son mitrailleur d’abattre l’adversaire. Le capitaine Q... atteint un avion allemand qui pique, tournoie et s’effondre dans l’abîme, projetant dans le vide au cours de la descente le passager qu’on retrouve, plusieurs jours après, à 1 800 mètres de l’endroit où s’est abattu l’appareil. Le sergent Carrier, breveté récemment, en moins de huit jours, abat deux avions allemands, l’un avec un monoplace, l’autre avec un biplace, au début d’octobre. Enfin, le caporal P. le 10 octobre, est atteint de trois balles dans la cheville et la cuisse, et parvient, en dépit de ses blessures, à ramener son appareil à son port d’attache.
Il existe naturellement une tactique dans la chasse aérienne. Pour la déterminer, il est indispensable de se rendre compte des angles morts de l’ennemi. On peut considérer que les points les plus vulnérables sont, dans l’ordre d’importance l’hélice, le moteur, le radiateur, le pilote. Si l’on combat un avion à hélice tractives, il faut se tenir en avant et au-dessus; au
contraire, quand l’avion a une hélice propulsive, il faut se placer en arrière et, de préférence, en dessous. Pégoud fut victime de cette dernière façon d’opérer. Il se maintenait an- dessous de l’adversaire afin d’atteindre de préférence le radiateur. Mais, comme il employait toujours la même méthode, un pilote plus hardi que ne le sont généralement les Allemands, le caporal Kandulski, décida de prendre notre héros à son propre piège. Il disposa une mitrailleuse sur le côté et, dès que Pégoud l’attaqua, ouvrit le feu. Le tireur, le lieutenant Bilitz, réussit à traverser l’artère aorte du Français.
Il ne faut pas croire que les toréadors de l’air cherchent de préférence à viser les membres de l’équipage. Les corps offrent moins de surface qu’un moteur et, en atteignant celui-ci, ceux-là ne peuvent éviter la mort que par miracle. Cependant, le sous-lieutenant B... qui avait déjà abattu un appareil, parvint, sur un biplan de chasse, à tuer d’abord l’observateur, ensuite le pilote.
Jusqu’ici la chasse a été surtout isolée. Elle ne peut devenir vraiment efficace que du jour où elle se fera par groupes. Pour assurer la salubrité de notre ciel, pour empêcher les avions ennemis de venir bombarder nos villes, repérer nos positions et nos mouvements, régler les tirs, il serait indispensable qu’un barrage continuel fût établi tout le long de notre front. A diverses altitudes se tiendraient de très nombreux avions de chasse prêts à foncer sur l’ennemi dès qu’il apparaîtrait. Celui-ci ne succomberait plus devant la virtuosité d’un pilote, mais devant le nombre. A l’heure actuelle, la part du hasard est trop grande. Avec la méthode proposée, abattre les imprudents qui se risqueraient au-dessus de notre territoire serait la règle. On n’attendrait plus qu’un avion fût signalé pour tenter, de le rejoindre. Ce filet aux mailles serrées que constituerait la frontière aérienne ne serait pas difficile à créer nous avons les appareils, nous avons les pilotes, ‘organisation suivra lorsqu’on se sera rendu compte des avantages considérables que nous pouvons en tirer. Dès que  le temps s’y prêterait, dès que des attaques pourraient être redoutées, les avions français prendraient leur vol pour détruire tout ennemi qui se présenterait.
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L’avion de bombardement n’a aucun rapport avec l’avion dé chasse. La différence est la même qu’entre le cheval de tombereau et le pur sang de course. L’appareil qui va semer la mitraille est volumineux, ne dépasse pas encore 100 à 110 kilomètres à l’heure, et peut emporter de lourdes charges. Il n’a pas la souplesse du petit biplan de combat, ni sa facilité d’évolution. Il monte lentement, mais emporte une provision d’essence et d’huile qui lui permet de voler sans escale pendant cinq ou six heures.
Au début de la guerre, nous nous abstenions des bombardements, par suite de scrupules qui n’effleurèrent jamais l’esprit de nos adversaires. Notre première attaque fut celle des hangars de Frescati, près de Metz. Nous choisissions avec le plus grand soin des objectifs uniquement militaires, tandis que les Allemands ne cherchaient qu’à jeter des bombes sur les villes ouvertes, de préférence sur Paris et Nancy. La majorité de nos attaques étaient effectuées isolément. Nos aviateurs faisaient preuve de brio, mais les quelques projectiles qu’ils lançaient ne pouvaient qu’endommager légèrement les cibles visées. Le 30 octobre 1911, 8 avions allaient bombarder un quartier général, près de Dixmude. Un groupe entier, soit 18 appareils, jetait 60 obus sur Givenchy, le 20 décembre. Puis, progressivement le 12 février 1915, 34 appareils vont opérer le long de la côte belge; le 16,48 attaquent Ghistellc et Ostende. Puis ce sont les fameuses randonnées de 400 kilomètres sur Ludwigshafen par 18 aéroplanes, le 27 mai; sur Carlsruhe par 23, le 16 juin. Au mois d’août, 32 avions lancent 164 obus, le 9, sur Sarrebrück; 62 avions sur Dillinge n, le 25, tandis que, le même jour 60 appareils français, belges et anglais dévastent les positions ennemies de la forêt d’Houthulst. Le 7 septembre, nouvelle visite, cette lois par 40 appareils, sur la ville de Sarrebruk, et c’est enfin, le 2 octobre, l’envolée de 65 aéroplanes sur Vouziers. Ces quelques chiffres montrent l’importance prise par les attaques aériennes depuis le début de la campagne. D’essais timides et peu efficaces elles sont devenues des expéditions en masse, des manoeuvres d’escadre. Nous pouvons et devons faire mieux encore Il y aura toujours des bombardements individuels effectués par des volontaires qui, de jour ou, de préférence, de nuit, tenteront de faire sauter un objectif de petites dimensions, mais, sur les villes, les grandes usines, les batteries, c’est par le nombre que le succès pourra être obtenu.
On se fait une faible idée des dangers que courent les aviateurs de bombardement, sans cesse exposés aux ripostes terrestres et aux chasses d’avions ennemis. Il est rare qu’après une grande expédition, tous rentrent au port d’attache à Ludwigshafen, un avion fut fait prisonnier, à Carlsruhe, deux, à Sarrebruck, deux furent abattus et ceux qui les montaient tués, deux furent capturés. Ces quelques exemples prouvent le danger qui poursuit les appareils sous forme de panne, d’obus ou de balles.
Parfois la manipulation des bombes produit à bord des catastrophes. Une mesure de précaution s’impose: il ne faut armer les projectiles qu’au moment de les lancer; sinon, tombant dans la nacelle, ils peuvent exploser, comme ce fut le cas pour le capitaine Dessiner. Avec certains appareils, à cause des fils nombreux qui courent sous le train d’atterrissage, il est imprudent de lancer les obus de la place de l’observateur. On les installe alors sous la nacelle, horizontalement, et un déclenchement permet de les lâcher séparément on tous ensemble. Mais il arrive dans certains cas que les ressorts ne libèrent pas complètement le projectile, qui reste suspendu, ou que celui-ci s’accroche par l’empennage aux fils de l’avion. A l’atterrissage, l’obus peut tomber sur le sol au moindre choc et éclater.
Le bombardier doit être doué d’un réel sang-froid. Il s’occupe avec le plus grand soin de son chargement et ne laisse rien au hasard. Il observe la chute de ses bombes afin de constater si elles sont bien parties de l’appareil. En outre, il doit être un excellent mitrailleur pour riposter en cas d’attaque ennemie; il doit ne lancer sa cargaison que lorsqu’il est sûr de l’objectif qui se trouve au-dessous de lui. Mieux vaut rentrer sans avoir jeté ses obus que les envoyer sur un lieu qu’il ne convient pas d’atteindre.
Une tactique rigoureuse doit être employée pour les opérations de bombardement lorsque l’expédition comprend un grand nombre d’appareils, l’ennemi ne cherche à attaquer que ceux qui s’égarent ou sont séparés du reste du groupe. Comme les biplans qui opèrent ne peuvent guère se défendre, ils sont escortés d’avions de chasse jouant vis-à-vis d’eux le rôle de chiens de berger. Cependant, certains avions de bombardement acceptent le combat c’est ainsi que, le 3 octobre dernier, l’un d’eux fut attaqué par deux appareils ennemis. La lutte dura cinquante minutes, les nôtres tirèrent plus de 350 cartouches. L’un des ennemis ayant atterri brusquement, l’autre s’enfuit. Après quoi, le français alla jeter 16 obus sur l’objectif qui lui avait été indiqué
Les objectifs recherchés sont d’abord les ouvrages d’art ennemis : ponts, tunnels, gares, voies ferrées, usines; les points militaires convois, dépôts de munitions, rassemblements, bivouacs, batteries, tranchées, —sans oublier les endroits que nous devons attaquer par mesure de représailles. Ils sont nombreux, et il serait nécessaire qu’à chaque crime contre une ville ouverte alliée correspondit une envolée vengeresse sur les cités dont s’enorgueillissent les Allemands. La sentimentalité doit avoir vécu : songeons à nous défendre. Nous n’y parviendrons que par la loi du talion. Si nous avions toujours ainsi raisonné, que de vies innocentes auraient été épargnées I
Au moment d’une action terrestre, la coopération des avions de bombardement est capitale. Ils doivent d’abord isoler les troupes de l’avant de celles de l’arrière, les séparer de leurs réserves, anéantir les batteries, les munitions, les trains, les ponts. Puis, c’est les armées ennemies elles-mêmes qui doivent être recherchées prises entre deux feux, celui des canons et de l’infanterie et celui des aéroplanes, elles seront vite eu proie à la panique et ne trouveront de salut que dans la reddition. La retraite une fois commencée, nos avions doivent varier leurs projectiles. Au lieu de bombes, ce sont des fléchettes qui s’abattront du ciel comme un déluge meurtrier, transformant en débâcle un recul méthodique.
La collaboration des armées de terre et de la cinquième arme doit donc être extrêmement stricte et continue pour hâter le succès recherché. Nous regretterons toujours qu’une telle tactique n’ait pu être employée à la bataille de la Marne: l’aviation était trop jeune alors! Au moment de notre offensive d’Artois et de Champagne, malgré le ciel bas obligeant les avions à se tenir entre 500 et 800 mètres, ceux-ci aidèrent merveilleusement les troupes des tranchées. Mais les appareils de bombardement peuvent faire encore mieux.

Alors que la chasse et le bombardement permettent d’obtenir des succès immédiats et personnels, il est deux missions de l’avion qui, au moins aussi importantes, sinon davantage, semblent plus effacées aux yeux du public. Il s’agit des reconnaissances et des réglages de tir pour lesquels l’aéroplane n’est qu’un intermédiaire, mais quel intermédiaire I
Chaque jour, nos aviateurs et observateurs volent au-dessus des lignes ennemies, et loin à l’intérieur, pour aller recueillir les renseignements qu’attend le commandement : grâce à eux, nos chefs connaissent exactement les positions de l’adversaire, les changements qu’il opère, le trafic des trains apportant renforts ou munitions, les convois venant à l’aide.
Au cours d’une reconnaissance faite dans les premiers jours de l’invasion allemande en Belgique, l’observateur contrôla le débarquement des troupes, qu’il estima à deux corps d’armée, dans les gares voisines du territoire belge. Comme les corps d’armée allemands de l’active avaient été soigneusement repérés, la surprise du commandement fut grande. Afin de bien s’assurer de la vérité du fait, une autre reconnaissance renouvela l’exploration. Elle vit les troupes indiquées échelonnées eu formation de marche, sur des routes conduisant des gares de débarquement vers l’intérieur de la Belgique. H n’y avait plus à douter : les Allemands mettaient en première ligne des corps de réserve. Le fait était pour nous d’une incontestable utilité.
C’est également par nos aviateurs que le commandement eut connaissance du trou qui existait entre deux armées ennemies au moment de la bataille de la Marne. En nous précipitant dans cette brèche, nous trouvâmes la victoire. Une reconnaissance apprit aussi à nos chefs l’immensité du désastre ennemi après ce glorieux succès. L’aviateur vit dans tous ses détails la retraite des Allemands.
Le métier d’observateur est des plus délicats. De 2 000 ou 2500 mètres distinguer avec précision le nombre de trains et de wagons aperçus dans une gare, désigner avec exactitude les formations rencontrées sur une route, l’importance des cantonnements découverts dans des champs, exige du coup d’oeil, de la méthode et une connaissance approfondie des formations habituelles de l’ennemi. Chaque jour, maints passagers rentrent avec des renseignements du plus haut intérêt. Ils font aussitôt leur rapport, schéma de ce que leurs yeux ont vu, et l’adressent à l’état-major de l’armée; là, ces notes, ces bribes prennent corps, sont reliées les unes aux autres et constituent une fois qu’elles ont été étudiées, une vision parfaite et complète de ce qui se passe chez l’ennemi. Ajoutez à cela les clichés photographiques, pris au cours de la randonnée même lorsqu’ils sont un peu flous, légèrement obscurs, ils permettent aux spécialistes qui les analysent de reconstituer avec une méticuleuse précision le front et les formations de l’adversaire, et d’y relever les moindres modifications qui y sont apportées.
Pour bien voir, il ne s’agit pas de regarder en avant ou en arrière, mais exactement au-dessous. C’est pourquoi le monoplan a été vite abandonné, car il ne permettait pas de faire des observations scrupuleusement exactes. On reconnaît facilement les troupes en mouvement, en marche ou derrière des retranchements. Par temps sec, in poussière les fait repérer sans difficulté. Mais il est plus délicat de distinguer des colonnes progressant à l’ombre ou le long d’une rangée d’arbres. De petits détachements au repos près d’habitations ou à la lisière de bois sont vite reconnus. Mais on ne peut voir l’infanterie couchée en pleine campagne ou même sous la tente, à moins que les faisceaux et les paquetages ne soient placés à part. C’est pourquoi il est recommandé aux hommes de conserver leurs sacs et armes auprès d’eux. Afin d’échapper aux regards indiscrets de l’avion, II faut surtout camper et bivouaquer dans les forêts feuillues dont les sentiers sont invisibles. Les retranchements à découvert se distinguent comme un trait noir sur du papier. Quant aux pièces d’artillerie et aux chevaux, ils sont toujours protégés par des arbres ou des abris imitant la couleur du sol. Lorsqu’on aperçoit un pare de voitures près d’une localité on peut eu conclure avec certitude que des troupes sont cantonnées dans le village. D’après la longueur occupée sur une route par une formation, l’oeil
-exercé peut évaluer celle-ci aussitôt, et désigner l’arme à laquelle elle appartient. Les taches bleutées trahissent la présence de l’artillerie. Les, colonnes d’aspect plus uniformément sombre sont constituées par de l’infanterie ou de la cavalerie. Ces deux armes peuvent se confondre vues de haut, l’ensemble, cheval et cavalier, s’écrasant sur le sol comme fait le fantassin. La différence d’allure, les taches claires faites par les chevaux gris ou blancs donnent cependant parfois des points de repère. Là où la mission de l’observateur devient délicate, c’est lorsque les troupes cheminent, non plus sur une route, mais à travers champs, en lignes de section. Une colonne faisant la halte horaire peut se confondre avec des haies ou des buissons. Mais si l’on ne commet pas cette erreur, on évalue facilement l’effectif en appréciant sur la carte la longueur de route occupée. Un bataillon d’infanterie allemand occupe 400 mètres, un escadron 120, une batterie montée 260, une batterie à cheval 350, une colonne légère de munitions 100, une batterie d’obusiers 260, une compagnie de pionniers 120, une batterie lourde avec deux échelons de munitions 360. En formation de rassemblement, ces distances sont réduites un bataillon en colonne profonde a un front de 28 mètres sur 64 mètres de profondeur, et en colonne large 117 mètres de front sur 14 de profondeur; un régiment de cavalerie en bataille a 247 mètres de front sur 15 de profondeur, en ligne de colonnes 200 mètres de front sur 50 de profondeur; une brigade en ligne de masse 162 mètres de front sur 50 de profondeur, une division d’infanterie 300 mètres de front sur 500 de profondeur, et une division de cavalerie 170 mètres de front sur 350 de profondeur.
A proximité des lignes, les cantonnements sont resserrés, avec plus d’infanterie en avant, l’artillerie ne cantonne jamais seule, les colonnes de munitions sont avec leurs régiments. En apercevant un bivouac, l’observateur se rend compte par ses dimensions et a forme de l’effectif et de la composition des troupes abritées.
Quand l’observateur croit distinguer une troupe, il vole vers elle, l’évaluant de loin et corrigeant cette évaluation à mesure qu’il approche. En arrivant à sa hauteur, la jumelle lui fournit les derniers renseignements utiles. Si par hasard il n’est pas suffisamment renseigné, son pilote effectue une série de spirales jusqu’à ce qu’il ait terminé son observation. Pour être sûr de ne pas se tromper, le passager marque au crayon sur la carte la tête et la queue de la colonne. De plus, il note par écrit tout ce qu’il voit, avec les heures correspondantes, et, autant que possible, reporte sur la carte les troupes avec leurs formations, les emplacements de batteries qui se distinguent facilement grâce aux lueurs, et les nombreux échelons.
L’observateur doit être avant tout consciencieux et modeste. Il ne doit pas essayer de se tailler des succès en rapportant à chaque sortie des renseignements sensationnels. Il ne précise que lorsqu’il est sûr de ce qu’il a vu, et formule des réserves dans le cas contraire. Une indication erronée peut avoir de graves conséquences.
Souvent le profane se demande sien avion le passager peut écrire aisément et communiquer avec son pilote. L’observateur a une petite planchette et prend des notes avec toute la facilité désirable, sans redouter la moindre trépidation, car l’appareil, ne l’oublions pas, glisse dans l’air. Il est certainement plus facile d’écrire en aéroplane que dans un chemin de fer. Les communications avec le pilote dépendent de la position du moteur. Si le moteur est à l’avant, l’observateur frappera sur l’épaule de son camarade suivant leurs conventions ou passera ses ordres sur un feuillet de papier. Si le moteur est à l’arrière, les deux hommes peuvent causer entre eux avec une facilité relative.

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Au début, pour mener à bien leur mission, les régleurs de tir opéraient au moyen de virages, mais bientôt ce procédé qui présentait des inconvénients et prêtait parfois à équivoque, fut remplacé par celui des fusées à signaux. Plus tard, les appareils furent munis de T. S. F. Grâce à cette méthode beaucoup plus claire et précise, l’avion est devenu maître de son itinéraire et de son vol et n’a plus besoin d’être continuellement aperçu de la batterie pour laquelle il opère. Les deux premiers procédés exigeaient une entente parfaite entre le régleur, le commandant de batterie et les observateurs terrestres. Une erreur d’interprétation pouvait se glisser dans les indications, un réglage pouvait être manqué, tandis qu’avec la T. S. F. le code mp1oyé empêche toute méprise.
Les régleurs procèdent d’abord à une reconnaissance gênérale pour constater la présence réelle des pièces désignées pour être les objectifs du jour, surveiller l’état des travaux ennemis, repérer les nouvelles batteries et observer les effets des tirs de la veille. Le meilleur procédé d’étude pour l’observateur est de parcourir le secteur qui lui est confié comme s’il ne s’attendait qu’à y trouver des sites naturels. L’oeil bien entraîné arrive de cette façon à remarquer presque facilement les emplacements ennemis même les mieux dissimulés. Ils lui sautent immédiatement aux yeux et attirent son regard par leur contraste avec le reste du terrain. C’est ainsi que sont découverts les nouveaux objectifs. La méthode qui consiste à s’attendre sans cesse à trouver sur le sol la tache, le point noir, l’aspect géométrique que l’on espère, provoque souvent des méprises, l’observateur étant tellement convaincu qu’il finit par être le jouet de mirages. Elle ne doit être employée que lorsque l’on cherche un point déjà repéré et qu’on vient vérifier son occupation par l’adversaire.
Le régleur d’artillerie ne doit en principe jamais changer de secteur. Il doit en connaître les moindres accidents de terrain, les points les plus dissimulés, et reporter sur sa carte tout ce qu’il voit. Au bout de quelque temps, aucune modification ne pourra être apportée à la région sans qu’il s’en aperçoive immédiatement. Certains sont de véritables Sherlock Holmes de l’air, détectives toujours à l’affût, et plus en péril que les policiers terrestres. Les avions d’artillerie, dès qu’ils passent les ligues, servent en effet de cible aux fusils, mitrailleuses et canons ennemis. Ils sont obligés d’évoluer longuement au-dessus d’un point, quelquefois à une altitude relativement basse, et les Allemands savent quel témoin indiscret et précis les survole. Ils n’ignorent pas que le résultat de cet examen aérien se traduira par une pluie d’obus et de mitraille. Aussi tous les moyens sont-ils employés pour essayer d’abattre ces appareils. Les avions de chasse ennemis viennent aider l’artillerie et l’infanterie et se précipitent sur eux. À l’intérêt de la mise hors de combat de semblables adversaires s’ajoute ce fait que généralement ils sont peu armés et d’une vitesse relativement minime. Aussi, du plus loin qu’un Allemand en aperçoit un, s’élance-t-il vers lui. Le sergent Eugène Gilbert qui connaissait cette tactique s’en servit pour une ruse qui lui réussit par deux fois. Tandis qu’un de ses camarades réglait placidement un tir, lui se tenait à mille mètres environ au- dessus de lui. L’avion ennemi voyant l’appareil le plus bas venait l’attaquer, mais celui-ci piquait et s’enfuyait, poursuivi. Gilbert survenait et prenait en chasse l’ennemi qui s’en apercevait trop tard et allait bientôt s’écrouler sur le sol.
La mission du régleur d’artillerie est donc infiniment importante et particulièrement dangereuse. II est rare qu’un avion rentre sans porter des traces d’attaques; parfois l’antenne elle- même est coupée. A 3400 mètres, un appareil fut traversé par un éclat d’obus. Le caporal B..., surpris par un aviatik à 1 800 mètres d’altitude, alors que son observateur, le lieutenant B..., effectuait un réglage, descendit en combattant jusqu’à 700 mètres au-dessus des tranchées allemandes. Son réservoir fut percé par les balles de l’infanterie, l’appareil prit feu, mais réussit à se poser entre nos tranchées de première et seconde lignes. Le pilote eut le bras fracturé, le passager fut brûlé peu gravement. Les spécialistes du réglage sont pourtant peu connus du public qui ne se fait pas une idée du travail qu’ils accomplissent. Souvenez-vous de la pièce de 380 qui tirait sur Verdun, de celle qui bombardait Dunkerque ce sont des avions d’artillerie qui les ont repérées et les ont fait réduire au silence.
L’observateur d’artillerie doit être méfiant il ne suffit pas de découvrir les ouvrages ennemis, il faut reconnaître s’ils sont vraiment occupés. L’adversaire emploie de nombreuses ruses pour faire croire à l’existence de travaux simulés qui amèneront peut-être une dépense inutile d’obus. C’est ainsi que d’une fausse batterie sortent des pétards permettant de repérer aux lueurs une pièce inexistante; de même, un mouvement de personnel est souvent observé autour de grosses machines qui ressemblent à nos canons et qui, observées à la jumelle, ne présentent que l’aspect d’un tronc d’arbre sur un établi. Un jour, un observateur découvrit une fausse batterie qui tirait des marrons à lueurs en même temps que la pièce réelle.
Nos régleurs ne se laissent pas prendre à ces stratagèmes, et leur travail est toujours efficace. À Marchiéville, près de Verdun, les ennemis se trouvant en pays plat, n’avaient aucun abri pour dissimuler leur artillerie, qui cependant ne cessait de tirer furieusement. Les avions volaient quotidiennement au-dessus du village sans pouvoir déchiffrer l’énigme. Un jour, un observateur en découvrit la clef, grâce au feu des canons. Les Allemands avaient simplement démoli l’intérieur des maisons et mis leurs pièces en lieu sûr, les faisant passer par les fenêtres. Quelques instants après, nous prouvions à nos adversaires que leur subtilité n’avait pas résisté au coup d’oeil de nos aviateurs.
Notre étude ne serait pas complète si nous n’insistions pas sur le rôle rempli par l’aviation nocturne. C’était là une spécialité dans laquelle, avant la guerre, les Allemands possédaient sur nous une avance qui semblait considérable. Depuis longtemps la question les intéressait. De nombreux pilotes avaient accompli de très beaux raids nocturnes. Des aérodromes avaient été aménagés. Nous, au contraire, nous dédaignions ces sortes de vols qui paraissaient plus dangereux qu’utiles. La guerre a renversé les rôles alors que nos ennemis laissent à leurs sinistres zeppelins le soin d’attaquer les villes ouvertes à la faveur des ténèbres, nos pilotes, depuis le mois d’octobre 1914, vont presque quotidiennement lancer des bombes sur les campements, bivouacs, batteries, gares ou établissements militaires allemands; tel le raid de 62 avions sur la forêt d’Houthulst.
Au début, avec une intrépidité bien française, nos aviateurs s’envolaient sur des appareils nullement préparés pour des randonnées semblables. Seule une lampe électrique de poche leur permettait de consulter de temps à autre la carte, la boussole ou le compte-tours. Mais aussitôt ils comprirent quels perfectionnements pouvaient être apportés à leur installation précaire. Des lampes de bord, des phares orientables placés sous la nacelle firent envisager le vol de nuit avec la même sérénité que le raid diurne. Grâce aux projecteurs, le pilote fouille les ténèbres lorsque des dirigeables ennemis sont signalés, repère l’objectif qu’il va bombarder et observe le terrain sur lequel il va se poser. L’oiseau de nuit peut évoluer à une altitude très minime, 4 ou 500 mètres : on juge de la précision d’un bombardement effectué dans ces conditions. C’est ainsi qu’une escadrille lança, dans la nuit du 25 août 1915, 127 obus et 14 bidons incendiaires, entre 10 h. 30 du soir et 3 heures du matin, sur la gare de Noyon.
Il ne faut pas croire que seuls les champions soient aptes à faire des pilotes de nuit. N’importe quel breveté, frais émoulu de l’école de pilotage, y réussit au bout de peu de temps. Deux sorties de quinze ou vingt minutes comme passager, puis il vole de ses propres ailes, avec autant d’aisance qu’en plein jour. Au camp retranché de Paris, qui, sous la haute direction du capitaine L est devenu l’académie du vol nocturne, il n’y a pour ainsi dire jamais de casse.
C’est surtout contre les zeppelins que les avions de nuit seraient utiles. S’élevant à la moindre alerte, et formant une barrière qu’on pourrait considérer comme infranchissable si le brouillard, cher à l’ennemi, n’était pas trop épais, une véritable escadre protègerait Paris contre toute agression.
 
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La cinquième arme sur laquelle on n’osait pas compter avant les hostilités a donc conquis la place la plus glorieuse. C’est pourquoi le commandement l’a toujours encouragée et augmentée. Si nous n’avons pas encore 10000 avions, comme le réclame Wells, qui veut adapter à la guerre son imagination de romancier, chaque jour nous en procure de nouveaux. Il ne faut pas oublier que c’est par le nombre que nous parviendrons à triompher. Des avions! Encore des avions! Toujours des avions!  Telle doit être la devise du sous-secrétariat d’État de l’Aviation. C’est sur leurs ailes que nous viendra la victoire définitive. Ils doivent constituer une telle armée que l’ennemi aérien et terrestre, harcelé sans cesse par eux, soit contraint de s’avouer vaincu. Ils doivent être les collaborateurs les plus intimes de nos troupes au moment des attaques et achever en déroute la retraite commencée. Mais il faut agir, agir vite, car l’adversaire travaille et nous réserve une puissante armée aérienne pour Je printemps.
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Comment se fait-il qu’ayant préparé la guerre avec un soin aussi sournois, les Allemands n’aient pu, pendant près de dix mois, essayer de rivaliser avec nous eu aviation, et, depuis, ne l’aient fait que pour la chasse. Quels sont les bombardements intéressants réussis par eux? Aucun. Leurs exploits sont isolés, timides. Et que bombardent—ils? Des villes ouvertes. Les victimes sont rares. L’exemple de Paris et celui de Nancy suffisent À montrer l’inanité de leurs attaques. Mais il serait certes imprudent de dénigrer l’effort allemand. Au début, nos adversaires, avec leur orgueil habituel, se crurent les maîtres de l’air. Au bout d’un mois à peine, cette conviction était détruite par nos ripostes. Les Allemands se remirent alors an travail avec ardeur et réalisèrent quelques types dont on ne saurait qu’avec mauvaise foi diminuer l’intérêt en avril apparurent des appareils de chasse très redoutables, et dès le début d’octobre 1915, des avions de bombardement commencèrent à aller sur le front.
Nous étudierons ces deux périodes. Au cours de la première, des bombardements individuels de villes ouvertes, des fuites éperdues devant tout appareil français qui se présentait. Dans la seconde, au contraire, les avions de chasse ennemis n’hésitent pas à attaquer nos régleurs de tir et nos engins de bombardement, même parfois nos toréadors de l’air. Jamais ont ne dirait que ces deux phases si différentes font partie de l’histoire de la même nation.
L’infériorité du début tient à ce que, dès les premières envolées, les meilleurs aviateurs allemands disparurent. La preuve nous en est donnée par le carnet de route du lieutenant Fritz Millier, observateur, tué près de Verdun, le 4 février. Nous y trouvons ces renseignements
9 septembre... On annonce au 19° Corps d’armée qu’un avion allemand a fait explosion dans les airs. On constate plus tard qu’il s’agit de l’Albatros de von Fûrstenau, observateur Neumann. Obus frappé en plein.
12 septembre... Nous apprenons que Beaulieu est tombé avec l’observateur Dallwig. Au détachement 1, Gresch est tout seul. Jahnow est tombé avec Koch. Blutgen a disparu avec l’observateur Heyden. Baudissin est blessé. C’est évidemment beaucoup. La perte du brave Beaulieu est dure.
Dans les conversations que j’ai eues sur le front avec des aviateurs prisonniers, au début de 1915, j’ai obtenu quelques aveux
— « Nous avons voulu fournir un gros effort, malheureusement nos meilleurs pilotes sont morts ou capturés. Il est très difficile d’instruire de nouveaux aviateurs. Nous en avons, le fait est certain, mais ils sont inférieurs et incapables de rendre les services qu’on en peut attendre. » 
Cette déclaration faite par des Allemands vient confirmer l’opinion généralement répandue sur le tempérament de nos ennemis, incapables de briller là où il faut un effort individuel et de l’initiative. En France, notre armée aérienne s’augmente sans cesse. Chaque jour, de nouvelles escadrilles sont organisées et partent pour le front. En six semaines, nous formons des pilotes. Ce ne sont pas des champions, mais l’aviation n’est plus un sport, c’est une arme de guerre. De même qu’il est inutile d’avoir gagné le Grand Prix de l’A. C. F. pour faire un conducteur d’automobile, ou d’être un recordman cycliste pour être agent de liaison, un aviateur n’a pas besoin d’être un virtuose pour effectuer brillamment son service. Quant au courage et â l’héroïsme, ils sont innés et ne s’acquièrent pas par de l’entraînement. Non seulement nous n’avons subi, dans les douze premiers mois surtout, que des pertes relativement minimes, proportionnellement au nombre de kilomètres parcourus, mais nous voyons nos rangs de pilotes augmenter sans relâche, et c’est ce qui fait notre force. Quelle que soit la durée de la guerre, les Allemands ne pourront que difficilement rivaliser avec nous à ce point de vue. Ils feront des machines, ils auront du mal è avoir des pilotes.
Ce qui fait aussi que nous leur serons toujours supérieurs, c’est la discipline humaine qui règne chez nous, alors que chez eux, c’est selon le rang et le grade, non d’après les qualités, que les hommes sont estimés ou méprisés. J’ai eu l’occasion de m’entretenir, près de Verdun, avec un aviateur allemand qui prétendit d’abord avoir atterri par suite d’une panne d’essence. Puis, mis en confiance
— « Panne d’essence? Ce n’est pas vrai. Allez voir mon réservoir, il contient encore vingt-sept litres. La raison pour laquelle je suis descendu, c’est que j’en ai assez. J’étais mécanicien dans une usine parisienne, à la mobilisation. J’habitais Paris depuis de longues années et m’y plaisais comme dans une vraie patrie. J’ai tenu à faire mon devoir. Aucun de vous ne peut me le reprocher. J’ai volé avec conviction pendant plusieurs mois, mais les hobereaux de l’escadrille, surtout les petits officiers observateurs, me considéraient comme un paria, me tenant à l’écart, évitant de m’adresser la parole. Leur attitude m’a soulevé le coeur. Longtemps j’ai hésité, je ne voulais pas me rendre, mais aujourd’hui je suis parti avec cet individu (il montrait son passager, pâle de fureur) qui était plus insolent et hautain que les autres. Je devais lui faire faire sa première reconnaissance. Le bon tour que je pouvais lui jouer me décida. Et je vous l’ai apporté tout frais, tout pimpant. A lui maintenant d’être brimé. Je compte sur les Français pour lui faire passer sa morgue. Tout à l’heure, à l’atterrissage, il m’a cravaché parce que je ne suis qu’un simple sous-officier dans l’armée, un ouvrier dans le civil. Mais ses coups m’étaient doux, tant j’étais heureux à la pensée que j’en avais fini avec la vie d’esclave qu’on m’a fait mener jusqu’à présent. »
Cet homme était évidemment sincère. Il s’exprimait dans un français très correct, qu’émaillaient quelques termes d’argot, et sa colère qu’il pouvait enfin avouer n’était pas feinte.
Les aviateurs allemands prisonniers sont d’ailleurs généralement loquaces et plus sympathiques que les passagers. Par eux, j’ai obtenu de nombreux renseignements sur l’organisation de l’aviation ennemie au début de la guerre. En janvier 1915 un capitaine et un lieutenant étaient pris par nous dans l’Est. La violence du vent les avait contraints à descendre. Ils se rendirent à un paysan, lui demandant de les conduire au maire, auquel ils remirent leurs armes et leurs papiers. Ils répondirent à toutes les questions qui leur furent posées avec un luxe de détails qui prouvait que leur patriotisme était loin d’être colossal
— « Nos escadrilles, dirent-ils, se composent, comme les vôtres, de 6 appareils, 6 pilotes (4 officiers et 2 sous-officiers, généralement) et 6 observateurs. La nôtre, attachée à une armée, est, selon les besoins, employée pour les reconnaissances à longue portée, la recherche (le renseignements photographiques et les bombardements. Tous les appareils sont biplaces. Aucun des triplaces du temps de paix n’est utilisé, mais il est question d’en construire de nouveaux. Les taubes et, en général, tous les monoplans sont en voie d’être remplacés par des biplans. Ceux-ci ont prouvé leur rendement supérieur. Les marques les plus employées sont l’Aviatik, l’Albatros et le L. V. G. avec des moteurs de 100 chevaux. Notre Aviatik fait du 90 à l’heure, peut tenir l’air quatre heures et affronter des vents de 26 mètres au maximum. L’infériorité de nos avions est dans la difficulté qu’ils éprouvent à monter et à évoluer par un vent violent et irrégulier. Nous envions tous votre vitesse ascensionnelle. A cause du poids, nos engins ne peuvent régler les tirs d’artillerie par des virages. Nous employons les fusées lumineuses. Aucun de nos appareils n’a encore la T. S F. à bord.
 Pour le combat aérien, nous vous sommes très inférieurs, d’abord parce que pas assez rapides, ensuite parce que mal armés. Nous n’emportons qu’un pistolet automatique et une carabine,
 Les avions de bombardement emportent quatre ou six obus suivant le calibre. Le lancement s’opère sans appareil spécial de pointage, mais au jugé, par un système de déclenchement ou à la main. D’ailleurs, nous n’avons pas grande confiance dans l’effet des bombes.» -
Le pilote affirma ensuite, que nous possédions près de Verdun une batterie contre avions extrêmement dangereuse, tirant avec une précision remarquable et qui avait failli l’abattre en décembre 1914.
Le même jour, deux autres aviateurs étaient capturés non loin de là. Ils avaient atterri par manque d’essence. Ils montaient un taube, qui portait cinq bombes rangées dans le fuselage. Aucun appareil de lancement, ni de visée. Le champ d’observation était nul sur l’avant, et d’un angle très faible à droite et à gauche. L’avion n’était pas armé et ses passagers n’avaient que le pistolet automatique réglementaire. Le pilote affirma que l’Allemagne possédait 55 escadrilles, au lieu de 30 au début de la guerre. Deux venaient d’être envoyées en Turquie. Il fit lui aussi l’éloge de notre artillerie qui, en Champagne, à 2 200 mètres d’altitude, avait atteint son appareil d’une trentaine d’éclats.
Il est intéressant de comparer ces propos avec ce que nous savons sur l’état actuel de l’aviation allemande. Mais il convient de montrer auparavant comment le commandement allemand a encouragé la cinquième arme. L’état-major ne manque pas une occasion d’insister sur les fonctions des aéroplanes. Elles étaient précisées dans «les règles pour l’instruction des nouvelles formations de réserve » (26 septembre 1914)
7° Le rôle des avions a pris une importance qu’on ne soupçonnait pas. Ils doivent être en contact étroit non seulement avec les commandants des troupes, mais aussi avec ceux de l’artillerie. Il est nécessaire dans les manoeuvres et les exercices de préparer par tous le moyens possibles cette étroite collaboration et cette entente réciproque. Tous les aviateurs doivent être munis de revolvers et de grenades à main. Ces dernières, dans la plupart des cas, ne réalisent pas des résultats appréciables, mais elles contribuent largement à alarmer l’ennemi en conséquence on ne saurait s’en passer.
Alarmer l’ennemi, tel est leur objectif, et c’est sans doute pourquoi ils visent de préférence les hôpitaux et les villes ouvertes, où ils sont sûrs de pouvoir tuer femmes, vieillards et enfants. -
Un autre ordre n’est pas moins curieux Ce sont les instructions du général von Bergman, au nom de l’état-major allemand, sur les précautions à prendre contre les avions français. Ces instructions sont du mois d’octobre 1914
D’après le rapport d’une escadrille d’avions, nos troupes sont, pendant le combat, très faciles à repérer, malgré leur uniforme gris, à cause de la densité de leur formation, alors que les Français savent se protéger parfaitement contre les reconnaissances aériennes. Il est absolument nécessaire que, pendant le combat, nos troupes rendent plus difficile la tâche des reconnaissances ennemies par une utilisation soigneuse du terrain (liaison étroite aux rangées d’arbres et bordures des villages, mise à l’abri dans les maisons, pas de formations massées et, par-dessus tout, immobilité absolue dans les espaces découverts). A rapproche d’un avion ennemi, toute vie doit cesser. Il est absolument nécessaire que les abris de l’artillerie et les tranchées d’infanterie se confondent avec le terrain environnant, non seulement pour qui les observe de terre, mais pour qui les survole. Éviter tout mouvement dans les positions de batteries aussitôt qu’un avion les survole un seul homme en mouvement peut dénoncer la batterie. Cesser le feu dès que paraît un aéroplane, car l’éclair de la pièce indique de loin la position. Pour se rendre compte personnellement de la visibilité de leurs propres positions, MM. les commandants de brigades, de régiments ou de groupes d’artillerie trouveront dans les escadrilles la plus grande bonne volonté à leur faire survoler leurs troupes, quoiqu’il soit reconnu que dans un premier vol, l’observateur ne voit pas grand-chose. Il est recommandé de demander conseil aux aviateurs sur les meilleurs moyens de dissimuler les positions. Les succès de l’artillerie française qui nous accusé tant de pertes sont dus en premier lieu à ce qu’il est presque toujours possible aux Français de déterminer l’emplacement de nos batteries, alors que nous ne réussissons pas à reconnaître avec certitude la situation des leurs. Pour arriver égaler sous ce rapport l’artillerie française, il est nécessaire que nos reconnaissances et nos observations soient poussées comme les leurs, loin en avant des lignes, même si cela doit rendre impossible la conduite du  feu de la batterie à la voix...
Au Grand Quartier Général;
Signé: von Dergman
Ainsi, dans les instructions secrètes, dans les carnets de route, dans les interrogatoires, nos ennemis rie manquent jamais de rendre hommage à notre cinquième arme. Il semble même que leurs seuls gestes chevaleresques depuis le début de la guerre se rapportent à des faits d’aviation. Quand le lieutenant Faurit fut fait prisonnier au camp de Châlons, en septembre 1914, un pilote ennemi vint aussitôt lancer dans nos lignes une lettre pour prévenir les parents de l’officier qu’il était pris, mais en excellente santé. Plus tard, nous fûmes prévenus par le même moyen que le pilote Senouque était capturé. Une missive du Français était j ointe à l’envoi. Au mois de mai, lorsque Thauron et Blancpain furent abattus par les canons, un aviateur allemand vint lancer un récit dans lequel étaient retracées toutes les circonstances du drame et qui se terminait par ces mots Thauron et Blancpain sont morts comte des braves. Les honneurs militaires leur ont été rendus... » Le 9 août, le sous-lieutenant Lemoine et le regretté dessinateur Daniel de Losques étaient tués dans un combat aérien au retour d’un raid sur Sarrebrück. Le lendemain, du haut des airs, était lancé un papier où on lisait notamment « De Losques et son pilote se sont bravement battus... On les a enterrés à Harbourg, près de Blamont. Leurs papiers seront renvoyés par la Suisse. » Enfin, le caporal Kandulski, vainqueur de Pégoud, vint lancer à l’endroit où le célèbre Français était tombé, une couronne mortuaire portant cette inscription « A Pégoud, notre ennemi, mort en héros. Ses adversaires. » Il est donc fréquent, lorsqu’ils triomphent de l’un des nôtres, soit en l’abattant, soit en le capturant, que les Allemands nous en informent par la voie des airs. Peut-être y mettent-ils un peu d’orgueil fanfaron, mais n’approfondissons pas, et contentons-nous d’enregistrer ces actes qui contrastent avec les usages des guerriers d’outre-Rhin.
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Où en est actuellement l’aviation allemande? Nous nous bornerons à citer des faits contrôlés et nous aurons soin de négliger toute information qui pourrait dissimuler un bluff. Les Allemands travaillent, en effet, en secret et conservent jalousement leurs modèles jusqu’au jour où ils les envoient au front. Mais, de temps à autre, ils font publier (les nouvelles destinées à semer la crainte, telle la construction d’un engin qui serait en même temps un avion et un ballon. Ce serait un gigantesque aéroplane qui porterait à la partie supérieure un ballon fusiforme, sorte de petit zeppelin, qui assurerait la sustentation, servirait d’équilibreur et permettrait à l’appareil de rester à peu près immobile dans l’air selon sa volonté. Cette invention fait sourire t
Il est certain que l’ennemi a accompli de grands progrès en se servant de l’expérience de la guerre. Il a commencé par les avions de chasse le moteur et l’hélice étant toujours à l’avant, il a d’abord paré à la difficulté en disposant sur le fuselage trois mitrailleuses tirant l’une à droite, l’autre à gauche, la troisième vers l’arrière. Ces armes sont très précises et les bandes comptent jusqu’à 250 balles. Ces appareils très rapides, — ils atteignent le 140 A l’heure, sont des Albatros et des Aviatiks. Leur procédé favori d’attaque consiste à survoler l’avion qu’ils veulent abattre. En passant au-dessus de lui, les mitrailleuses cherchent à le toucher. Puis, le biplan va virer et revient, épuisant ainsi ses munitions jusqu’au dernier passage. Ce sont surtout les avions de bombardement et de réglage qui servent de cible à ces triplaces, d’ailleurs presque toujours montés par deux personnes seulement. Plusieurs ont été abattus par les nôtres.
Le désavantage de ces appareils est d’être lourds et assez peu maniables entre les mains d’un pilote médiocre. D’autres engins ont été construits par la maison Fokker des monoplans rappelant le Morane-Saulnier, des biplans genre Nieuport, et des parasols dont les ailes noir, blanc, rouge avec une toute petite croix de fer au milieu ont souvent provoqué des erreurs. Nos pilotes les prenaient pour des appareils français. Ces avions sont extrêmement rapides, montent très vite et ont une faculté d’évolution remarquable. 
II convient de parler de l’appareil qui a eu l’honneur d’abattre Pégoud. Il a été présenté par toutes les compétences comme un engin très rapide qui rivalisait avec celui de notre héros par l’allure et la force ascensionnelle. Ce n’est pas exact. Je tiens mes renseignements de pilotes qui ont eu à le combattre et l’ont vu de près. Ce biplan, qui fait du 120 ou 125 à l’heure et a environ 21 mètres d’envergure, se met au ralenti lorsqu’il combat, et son allure passe alors à 80 kilomètres â l’heure. Son pilote, Kandulski, et son passager Bilitz, attendent l’adversaire très bas, à 1800 mètres d’altitude. L’appareil est bardé d’acier. Ce blindage lui permet de rester à son poste sans craindre les attaques ennemies, il cherche, le moment favorable pour tirer, tandis que les balles françaises s’aplatissent sur sa cuirasse.
Enfin, les Allemands emploient aussi pour la chasse des appareils qui servent également au bombardement et qui sont munis de deux moteurs et deux fuselages.
Les meilleurs chasseurs allemands, en dehors de l’heureux vainqueur de Pégoud, Kandulski, semblent être les lieutenants lmmelmann et Bœlke qui, en peu de temps ont abattu chacun six avions alliés. Notons qu’il est interdit aux spécialistes de la chasse de dépasser les lignes allemandes. Ils doivent attendre l’adversaire et non pas aller le chercher. Le cas de Kandulski est différent, car celui-ci pilote un appareil qui fait le duel aérien, le bombardement, le réglage et la reconnaissance. C’est au cours d’une reconnaissance photographique qu’il abattit Pégoud. J’ai souvent préconisé dans mes articles cette chasse chez soi, que pratiquent les. Allemands. L’inobservance de cette tactique nous a privés des services de Garros et de Gilbert.
Pour le réglage de tir, l’ennemi utilise des avions atteignant 120 kilomètres à l’heure. Mais chaque fois qu’un régleur va opérer, il est accompagné de trois appareils de chasse chargés de faire le guet et prêts à se précipiter sur l’assaillant. Noué avons dit qu’en janvier, la télégraphie sans fil n’était pas encore utilisée. Maintenant presque tous les réglages allemands se font par des postes de T. S. F. qui portent jusqu’à 30 kilomètres.
La reconnaissance s’effectue rarement à part. Elle se combine avec des opérations de chasse ou de bombardement.
En matière de bombardement, jusqu’au mois d’octobre nos adversaires se montrèrent nettement inférieurs, n’emportant que peu de poids, n’opérant que par vols de deux, trois, rarement dix avions, au-dessus de villes ouvertes, jamais ou presque jamais au-dessus d’ouvrages militaires. Il semble qu’un effort soit actuellement tenté de ce côté. Nous avons parlé de nos nouveaux avions de bombardement. Or, il est curieux de constater qu’un aérobus allemand, pris vers le 10 octobre en Russie, ressemblait en beaucoup de points à l’un de ceux qu’on pouvait voir évoluer chaque jour à Issy-les-Moulineaux. Coïncidence ou espionnage?
Cet appareil monstre est muni de deux fuselages et deux queues. Chacun des fuselages est blindé et renferme deux mitrailleuses, un canon léger et des coffres remplis d’obus. La propulsion est obtenue par deux moteurs. Au milieu, entre les deux fuselages se trouve la nacelle du pilote. Elle est également blindée. L’équipage se compose de six hommes, y compris l’aviateur, l’observateur et le mécanicien.
Un autre appareil en construction se compose de trois places et est mu par huit moteurs couplés, chaque couple actionnant une hélice. Il pourrait emporter vingt personnes. II est armé de quatre mitrailleuses et d’un canon-revolver dans une tourelle cuirassée. Tout l’appareil est blindé et sa partie supérieure a la forme d’un toit renversé. Il marche habituellement avec deux couples de moteurs et n’emploie les quatre que pour les courses à grande vitesse.
Enfin, la Société d’aviation Hansa Brandebourg a construit un biplan qui, essayé par le pilote Reiterer, s’est élevé à 5 500 mètres en 58 minutes avec trois passagers, et à
3000 mètres en 13 minutes avec le pilote seul à bord. Quelques jours après, en procédant à de nouveaux essais, Reiterer se tuait.
Ces nouveaux appareils, malgré leur intérêt, ne sauraient nous inquiéter, si nous tirons parti des inventions capables de leur répondre et de les abattre comme ceux qui les ont précédés. Mais ces données nous prouvent une fois de plus que nous devons toujours redouter les recherches ennemies, cacher soigneusement les nôtres et surtout augmenter sans cesse notre armée de l’air.
Actuellement, les Allemands eux-mêmes reconnaissent notre maîtrise. C’est ainsi qu’un de leurs pilotes écrivait récemment les lignes suivantes
Les avions français ne se montrent plus qu’en nombre considérable, qu’il s’agisse de venir voir ce qui se passe chez nous, ou que ce soit pour empêcher les nôtres de pénétrer au-dessus de leurs lignes. Comme les Français disposent d’une masse d’appareils et qu’ils nous barrent le chemin d’une façon systématique, il a bien fallu suivre leur exemple.
Les escadrilles françaises opèrent ainsi quand elles veulent nous empêcher d’exécuter nos reconnaissances, une dizaine d’appareils montent 2 000 mètres et patrouillent tout le long de notre ligne un nombre égal s’élèvent à 3 000 mètres et opèrent en sens inverse. Si d’aventure un des nôtres s’efforce de passer entre les mailles de ce filet, les deux Français les plus rapprochés de lui l’attaquent simultanément par en haut et par en bas. Si cela ne suffit pas deux autres viennent à la rescousse, ils agissent de même pour lancer des bombes sur nos centres d’aviation, sur les gares de chemins de fer, etc... Chaque escadrille se compose d’un avion de direction, de quelques-tins chargés de l’orientation et enfin de ceux portant les bombes. Ils manoeuvrent très adroitement, tout comme une flotte sur la tuer.
Cette tactique a été essayée. le! 17 octobre t915, par nos adversaires sur Belfort. Ils y sont allés à 18, dont 12 avions de bombardement et 6 de chasse. Mais il faut croire que nous, nous avons la manière, car, alors que nous attaquons en force, eux s’égrenèrent et plusieurs n’osèrent même pas aller jusqu’à la ville, se contentant de jeter leurs projectiles dans les champs.
Malgré leurs études de laboratoire, il est à croire que jamais les Allemands ne pourront rivaliser avec nous au point de vue de la hardiesse, de l’héroïsme et de la virtuosité des pilotes. Faisons encore d’autres aviateurs, donnons-leur les meilleurs appareils et les meilleures armes pour que restent toujours vraies les lignes écrites, à la fin de 1914, par le flatteur de Guillaume Il et de la nation allemande. Sven Hedin.
Les Allemands ont la plus grande admiration pour les Français, notamment pour le général Joffre, pour l’artillerie française, la meilleure du monde, disent-ils, et pour les aviateurs français, dont la vue, prétendent-ils, les fait frémir.
JACQUES MORTANE

Année de tous les dangers

Armement

Interrogatoire d'un prisonnier