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Zeppelin L 49


 


 

Zeppelin L 49
 
INVALIDES 1917 4
Zeppelin exposé aux Invalides [ref. R. Boron]

     La capture du Zeppelin L 49
    Extrait de la Guerre Aérienne Illustrée


    Un Zeppelin est signalé dans la région d'Epinal à une altitude d'environ 3.000 mètres. Il paraît se diriger vers le Sud.

    Aussitôt le lieutenant Lefèvre, chef de la N. 152, court prévenir tous ses pilotes. Il n'en fallait pas tant pour désiller leurs yeux encore lourds de sommeil.

    Partout ce n'est qu'un cri, cent fois répété d'une voix rejouie : " Un Zeppelin, un Zeppelin ! "

    Pour une surprise, c'est une bonne surprise. Cette triste journée qui s'annonce prend dès lors un air de fête. Tous les pilotes sont bientôt rassemblés sur le terrain, tandis que les mécanos sortent précipitamment les avions disponibles.

    La brume a fait place à un épais brouillard qui masque les abords du terrain. Le plafond est excessivement bas et devant cet état de l'atmosphère, vraiment peu sympathique, tous commencent à croire qu'ils sont victimes d'une fausse alerte sinon d'une mystification. Le plus sûr moyen de s'en rendre compte est d'aller y voir, déclare le lieutenant Lefèvre et il donne l'ordre au sous-lieutenant Lafargue de prendre l'air afin de juger si le temps permet d'exécuter une croisière.

    L'officier décolle à 6h30, monte et disparaît presqu'aussitôt dans le brouillard. Cinq minutes se passent, longues comme un siècle. L'escadrille attend, un peu émue, le résultat du vol d'essai. Enfin, l'avion sort du plafond, pique et vient se poser devant les hangars. Lafarque, fou de joie, hurle à pleins poumons : "La brume est très épaisse, mais au-dessus de 800 mètres il n'y a que le bleu intense et j'aivu deux Zeppelins."

    Vite, vite en route ! C'est une ruée générale vers les appareils. Deux minutes plus tard, le ronflement assourdissant des moteurs tournant à pleine puissance emplit l'écho des vallons. Ça gaze ! Enlevez les cales ! Et libérés, à toute vitesse, cinq appareils, tels des chevaux de course se ruant vers l'obstacle, roulent vingt mètres, quittent le sol et disparaissent dans l’opacité du brouillard. La patrouille de chasse est composée du sous-lieutenant Lafargue, du maréchal des logis de la Marque, du caporal fourrier Vandendorpe, des caporaux Gresset et Denis. Le lieutenant Lefèvre part à son tour quelques instants plus tard.

    La couche de brume est rapidement traversée par les Nieuport qui tous, se retrouvent dès que le bleu du ciel est visible. Les regards fouillent avidement les nues. Tout à coup, là-bas, sur la gauche, deux longs fuseaux effilés et grisâtres se profilent au lointain. Hurrah ! Ce sont eux !

    A plein moteur, c'est la ruée de l'escadrille sur les Zeppelins dont la forme se précise, ruée impitoyable des chiens sur le sanglier farouche, des David sur le Goliath redoutable. Instant tragique qui marque le début d'une lutte acharnée, sans merci et peutêtre. mortelle. Les dirigeables sont à grande hauteur, se dirigeant vers le Nord-Est. Il faut leur couper le chemin des lignes, tout en montant à une altitude supérieure. Les pirates ont sans doute aperçu leurs adversaires, car ils obliquent franchement vers le Nord tout en cherchant à prendre de la hauteur. Peine inutile.

    Les Nieuport montent plus vite qu'eux et rejoignent bientôt le premier pirate à 5.000 mètres. Croyant s'être fourvoyés et en l'absence de tout point de repère sur le sol caché par la brume, les mastodontes virent de bord et filent délibérément vers l'intérieur de la France. Les avions de la 152 ne leur laissent pas le temps de regretter cette erreur. Les plus rapprochés sont à 200 mètres du L. 49. La lutte commence alors, âpre et ardente. Le lieutenant Lafargue et quatre de ses pilotes foncent à tour de rôle sur le pirate en déchargeant leurs mitrailleuses à bout portant dans la direction des nacelles.

    Les voix des enfants assassinés en Angleterre et en France demandent vengeance. Ta ca ta ca ta. Les Nieuport l'accompliront. Ta ca ta ca ta. Et la ronde continue autour de l'énorme carcasse de toile et d'aluminium, ronde effrénée à 200 kilomètres à l'heure, ponctuée sans interrupton du sinistre Ta ca ta ca ta. auquel les aéronautes teutons ne sont guère habitués. Dans les nacelles, vingt hommes angoissés, regardent les avions évoluer avec une aisance parfaite. Ils comprennent tout le tragique de leur situation. Comment finira pour eux cette folle aventure ?

    Chaque fois que le L. 49 essaie de monter, les Nieuport grimpent au-dessus pour redescendre sur lui aussitôt, en le criblant de balles. Le commandant du pirate doit comprendre que ses efforts seront vains. Il met son engin à la descente. Ses mitrailleuses s'arrêtent, pour reprendre dès que le dirigeable marche horizontalement. Le groupe peu à peu, perd de hauteur. Soudain à l'avant du Zeppelin apparaît un drapeau blanc. Est-ce une feinte ?

    Les Boches sont-ils convaincus de leur perte ? Les avions tournent sans cesse dans tous les sens, certains maintenant de la victoire. Bientôt le sol apparaît, confus, Un plateau se présente, propice à l'atterrissage du mastodonte. Celui-ci baisse, baisse et vient s'échouer au fond d'une petite vallée, sur un lit d arbres et de buissons. En plein dernier virage, l'escadrille 152 s'assure que le pirate ne peut repartir, puis chacun de leur côté, au petit bonheur, les avions se posent à proximité.

    Pendant ce temps, l'équipage du Zeppelin est descendu et le commandant Gayer se prépare à détruire son aéronef d'une balle incendiaire. Le maréchal des logis de la Marque arrive en courant. Au même instant un chasseur, M. Boiteux, se joint à lui et sans hésitation s'avance vers le groupe. "Pas un geste ou je tire !"

    Il met en joue les Boches qui ne bronchent plus. Leur chef jette son revolver. Les autres pilotes de l'escadrille 152 sur viennent au pas de gymnastique. Le commandant Gayer s'avance vers le lieutenant Lefèvre et lui dit : "Vous êtes vainqueur. Je me rends ainsi que mon équipage et nous nous mettons sous votre sauvegarde."

    Grande est la surprise de l'officier boche quand il apprend qu'il se trouve à quelques kilomètres de Bourbonne-les-Bains.

    "Je me croyais en Hollande, déclare t-il et j'avais la conviction que vous étiez des aviateurs belges. C'est pourquoi je fus très étonné de vous voir me poursuivre jusqu'ici et d'atterrir à côté de moi."

    Il dit faire partie d'une escadre de dix Zeppelins ayant eu pour mission de bombarder l'Angleterre pendant la nuit du 19 au 20 octobre. Farouchement, le Boche regrette de n'avoir pas été descendu en feu, ainsi que de n'avoir pu détruire son ballon. Sa déception augmente encore lorsque le lieutenant Lefèvre lui apprend que son Zeppelin est passé dans la région d'Epinal, à moins de vingt kilomètres des lignes !

    Triste et penaud, l'équipage du L. 49, composé d'un commandant, d'un lieutenant et de 17 hommes et sous-officiers, part vers la captivité, encadré par des gendarmes qui ne sont pas encore revenus de leur surprise. Pendant les péripéties de cette lutte presqu'inédite, le second Zeppelin était attaqué par deux avions de la 152 ainsi que par différentes escadrilles de la région de l'Est. Le pirate se défendit âprement à l'aide de ses trois mitrailleuses, puis finalement il put disparaître dans la brume. Est-ce lui qui vint échouer si piteusement à Misson, dans les Basses-Alpes. C'est plus que probable. Le résultat acquis doit nous réjouir.

    Outre les trois autres Zeppelins descendus ou contraints d'atterrir en divers points, la capture corps et bien du L. 49 constitue un exploit unique jusqu'à ce jour et qui fait honneur à la désormais fameuse escadrille commandée par le lieutenant Lefèvre. Les pilotes qui ont vaincu le pirate allemand peuvent être fiers. C'est un peu de vengeance qu'ils apportent aux malheureuses victimes de Nancy, Dunkerque, Bar-le-Duc et de bien d'autres villes, victimes que l'on pleure beaucoup mais que l'on ne venge pas assez.
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    Rapport officiel du lieutenant Lefèvre
    Chef de l'escadrille N 152

    Le 20 octobre 1917, le cycliste de l'escadrille m'apporta à 6 h. 15 le message téléphoné suivant : "6 h. 10. Un dirigeable ennemi vient sur Epinal, venant du Nord, 2.500 à 3.000 mètres. "

    Immédiatement j'alertais tous les pilotes de l'escadrille et transmettais l'ordre par le cycliste de sortir immédiatement tous les appareils disponibles. Arrivé sur le terrain à 6 h. 25, ayant encore des doutes sur la présence de ces dirigeables, j'ai fait téléphoner à Epinal qui, par deux fois, m'a signalé rapidement la présence de deux dirigeables voyageant ensemble.

    Le temps était absolument mauvais : une épaisse couche de brume très basse cachait complètement le ciel, et j'hésitais à faire partir mes Pilotes. Cependant, je donnai l'ordre au sous-lieutenant Lafargue de traverser la couche de brume et d'essayer d'apercevoir les Zeppelins et d'atterrir immédiatement.

    Le sous-lieutenant Lafargue parti à 6 h. 30, était de retour à 6 h. 35, me disant que la brume était très épaisse et montait jusqu'à 800 mètres; mais qu'au-dessus il n'y avait plus que le bleu intense et qu'il avait vu au loin les deux Zeppelins.

    Je donnai l'ordre à la patrouille (sous-lieutenant Lafargue, chef de patrouille, maréchal des logis de la Marque, caporal-fourrier Vandendorpe, caporal Denis, caporal Gresset) de prendre le départ. Le sous-lieutenant Lafargue décolle immédiatement et les 3 autres le suivent. Seul, le caporal Vandendorpe ne peut partir par suite de panne.

    Pendant ce temps, mon appareil étant indisponible, je fis sortir l'appareil du maréchal des logis D. parti la veille en permission ; je l'essaye rapidement et je décolle à la suite du caporal Denis.

    Les appareils se perdirent immédiatement dans la couche de brume, mais se retrouvèrent à 900 mètres à la sortie de la brume, le sous-lieutenant Lafargue étant en tête dans la formation. Immédiatement, j'aperçois les deux Zeppelins à grande hauteur se dirigeant vers le Nord-Est. Je les situe à peu près entre Epinal et Lunéville; la brume épaisse me cachant complètement le sol m'empêche de savoir exactement où je suis.

    La patrouille prend sa hauteur en se dirigeant entre les Zeppelins et les lignes pour leur couper la route. Arrivés à 4.000 mètres, le Zeppelin de droite doit nous apercevoir, car il change de route Nord-Est, pour monter franchement Nord, suivi d'ailleurs par le second Zeppelin qui était à sa gauche.

    A ce moment, nous ne sommes plus que quatre, un des Nieuport, le caporal Denis nous a quittés. Arrivés à 5.300 mètres, la patrouille se trouve plus haut que le Zeppelin et elle se dirige droit dessus. Croyant à l'attaque, le Zeppelin fait un quart de tour et se dirige SudOuest; le second, plus haut, fait immédiatement, la même manoeuvre ; le premier résultat est acquis, ils font demi-tour et rentrent directement en France. Le sous-lieutenant Lafargue, chef de patrouille, attaque à ce moment-là le L. 49 et indique que le combat commence. Les autres appareils attaquent alors simultanément. Le Zeppelin d'ailleurs accuse immédiatement le coup ; il me semble qu'il descend. A ce moment, je compte de nouveau mes appareils. Nous sommes cinq, le caporal-fourrier Vandendorpe, dépanné, ayant pu nous rejoindre.

    Tant que le Zeppelin pique, nous le suivons sans tirer, mais aussitôt qu'il essaye de se redresser, immédiatement deux appareils piquent simultanément et dès que le L. 49 entend les mitrailleuses, il se met à piquer. Après un piqué très accentué, il essaya de nous échapper par une montée presque à la verticale. A ce moment là. nous piquâmes dessus et le Zeppelin n'insista pas. Pour le faire piquer, sans l'enflammer, nous avons continué à tirer quelques cartouches à côté. Arrivé vers 1.000 mètres environ, le dirigeable arbora à l'avant un drapeau blanc, signalant qu'il se rendait. Nos avions continuèrent à tourner autour.

    Vers 300 mètres, j'aperçois la terre; nous passons à 200 mètres entre deux bois et le dirigeable atterrit doucement. Nous tournons autour jusqu'à ce que l'équipage soit sorti et que le ballon paraisse dans une situation d'où il ne peut repartir ; il est 8 h. 45. J'atterris immédiatement à 800 mètres du ballon, suivi par trois de mes pilotes ; je me précipite à travers les champs, réunissant derrière moi quelques paysans et chasseurs et j'arrive à côté du Zeppelin.

    L'équipage est réuni à 100 mètres du L. 49; le capitaine se dirige vers moi et me dit : "Vous êtes le vainqueur, voici mon équipage, je me mets sous votre protection et je me considère comme prisonnier de guerre."

    Je rassemble immédiatement quelques civils avec des fusils, je laisse le L 49 sous la garde de deux pilotes et de ces volontaires et, avec le maréchal des logis de la Marque à la tête des 19 prisonniers, je me dirige vers Bourbonne-lesBains, de peur que la population surexcitée ne frappe les prisonniers. Je remets les prisonniers à la Gendarmerie, avec ordre de les isoler les uns des autres. Partie à 6 h. 35, la patrouille a atterri à 6 h. 45.

    La caporal Denis avait pris en chasse le second Zeppelin. Arrivé à 5.600 mètres d'altitude il lui livra combat à 800 mètres. Il fut pris alors sous le feu violent des mitrailleuses tirant des balles explosibles. Puis il eut soudain une panne sèche d'essence et dut atterrir à Rouvres-la Chétive (10 kilomètres de Neufchâteau) à 9 h. 20.

    Le porte-bonheur du L 49 :

    Après la fin du L. 49, nous devons aux vainqueurs eux-mêmes du L. 49 ces documents qui présentent un intérêt primordial : ce sont les seuls qui n'aient pas été publiés dans tous les journaux. Nous constatons ainsi que les Boches eux aussi sont fétichistes. Malheureusement pour eux, heureusement pour nous, leur vieux Bon Dieu prend un malin plaisir, parfois ! à muer en porte-guigne ce qu'ils considèrent comme un porte-bonheur. A bord du L. 49, les pilotes qui réussirent à triompher du mastodonte découvrirent un singe.
 

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